On nous parle de « la fabrique du héros » … Mais comment un héros peut-il bien se fabriquer ? Et à quoi correspond cet usage étonnant de ce mot, fabrique ? Écoutez les explications d'Yvan Amar dans cette chronique, avec sa transcription.
Le mot de l'actualité avec la délégation à la langue française du ministère de la Culture. Yvan Amar.
« La fabrique des héros ». Voici un titre récent des informations de RFI qui a expliqué comment l'image terrible de l'exécution d'un prisonnier ukrainien abattu par les Russes s'était propagée parmi les populations en guerre et fabriquait d'une certaine façon une image du héros, victime et courageux. Alors, s'agit-il d'une instrumentalisation d'une vidéo authentique ? En tout cas, la diffusion massive de cette image macabre a contribué à exalter un certain patriotisme et à galvaniser le courage des combattants. Mais enfin, l'expression n'est pas nouvelle, et d'ailleurs, étrangement, elle fait référence à toute une mythologie, surtout russe et même soviétique, mais pas uniquement. On sait par exemple que de nombreuses nations, dans une espèce d'instruction civique vague, diffuse, implicite, inventent souvent une figure héroïque idéalisée, qui représente un modèle qui se présente à l'esprit, même si on ne cherche pas systématiquement à l'imiter. Ainsi, on va fabriquer l'image d'un héros, et le système d'idées favorisé par les gouvernements est pour beaucoup dans cette élaboration. Alors on fabrique plus une représentation, un personnage imaginaire, qu'autre chose. Et l'idéologie au pouvoir est comparée donc à une « fabrique ».
« Fabrique », voilà un mot assez étonnant qui a un double, d'ailleurs ! Dans la même famille, c'est le mot fabrication. Pourtant, les deux mots n'ont pas la même signification. La fabrication désigne le processus. C'est très concret. Alors que la fabrique, le plus souvent, c'est d'abord un lieu. C'est là où on fabrique. Et ensuite ça renvoie à une idée plus abstraite : la façon dont une chose peut être fabriquée, peut « se » fabriquer. Et si le mot est à la mode, c'est aussi parce qu'il sert à pointer la façon dont quelque chose se met en place. C'est un résultat qui n'a rien de naturel. Par exemple, il existe sur une chaîne de radio du service public en France une émission intitulée « La Fabrique de l'Histoire » qui démontre comment tout cela s'organise, se combine pour donner ensuite une histoire qu'on lit et qu'on comprend. Et le verbe fabriquer, qui est très courant, signifie bien qu'un certain produit est élaboré. Non pas à partir de rien, mais en assemblant des éléments et éventuellement en les transformant, en les chauffant, en les mélangeant, etc. Et puis il a bien sûr - ce verbe fabriquer - repris quelques emplois du verbe « faire ». Parfois dans une langue plus familière d'ailleurs... « Oh bah, qu'est-ce que tu fabriques ? », qui veut dire « qu'est-ce que tu fais ? », souvent sur un ton légèrement agacé, en soulignant un retard ou parfois une chose mal faite. « Mais qu'est-ce que tu as encore fabriqué pour en arriver là ? » Et enfin, ce verbe au participe passé « fabriqué », -é accent aigu - qui peut s'accorder -ée, -ées - souligne de façon critique un aspect pas très naturel dans un comportement comme si on en rajoutait. « Il était peut être très peiné de ce qui était arrivé à son copain, mais bon, il l'exprimait de façon un petit peu fabriquée... il y en avait trop dans son attitude. »
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