Ubérisation: la lutte d'un livreur à vélo
Jérôme Pimot parle de son parcours et de son combat pour défendre la profession de livreur à vélo. Cette activité est proposée en partenariat avec le numéro 434 de la revue Le français dans le monde.
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► EXERCICE - Extrait de Aujourd'hui l'économie du 22 décembre 2020
► LEXIQUE
Les plateformes de livraison : un livreur/une livreuse ; livrer ; une application ; une commande ; un développeur/une développeuse informatique ; une tarification ; un tarif ; un compte ; une course ; un pourboire.
Le monde du travail : une boite [une entreprise, en langage familier] ; l'entrepreneuriat ; un auto-entrepreneur/une auto-entrepreneuse ; une facturation ; un employeur ; la couverture sociale ; un contrat ; un salarié/une salariée ; le salariat ; se faire virer [se faire licencier, en langage familier] ; un travailleur indépendant/une travailleuse indépendante.
Le militantisme : militer ; un collectif ; une revendication ; une lutte ; l'émancipation ; discuter ; soutenir ; négocier.
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L'homme d'une cinquantaine d'années a des kilomètres au compteur. Il a sillonné tout Paris sur son vélo. Tout commence en 2014 pour une plateforme de livraison de repas.
Une boîte qui s'appelait Toctoctoc et qui se voulait le « Uber » de la restauration. Je ne connaissais pas Uber. Peu de gens connaissaient Uber à l'époque.
Il découvre alors l'auto-entrepreneuriat et ses travers : les nombreux bugs de l'application censée l'orienter vers ses commandes, les facturations incomplètes de son employeur, la couverture sociale quasi inexistante. Il se rapproche d'un juriste qui va lui ouvrir les yeux.
Au final, il a lu le contrat - je lui ai envoyé et il m'a rappelé, et il m'a dit : « Mais en fait, Jérôme, tu es salarié. » Je lui ai dit : « Mais comment ça ? Je suis auto-entrepreneur, je [ne] suis pas salarié. » Il me dit : « Oui, mais en fin de compte, tu devrais être considéré comme un salarié par rapport à la façon dont tu travailles ». Et là, il m'a expliqué ce que c’était que le lien de subordination : le contrôle, les sanctions, les suivis, l'organisation que je ne gère pas, tout le matériel qu'on m'impose et qui m'appartient pas.
Du salariat déguisé en d'autres termes. Jérôme Pimot poursuit alors dans d'autres plateformes. Un passage chez l'anglais Deliveroo se passe très mal : blessé à l'épaule, il se fait virer, radier de l'application parce qu'il n'a pas assez travaillé. C'est à ce moment là qu'il commence à militer et fonde le C.L.A.P. : Collectif des Livreurs Autonomes de Paris.
Ce principe de management, on voit les crispations que ça crée et puis même les drames que ça crée. Les « gilets jaunes » en 2018 à Paris sont ni plus ni moins que l'effervescence à grande échelle de ce qui s'est passé chez les premiers travailleurs de plateforme. C'est la même chose. C'est des travailleurs qui sont là - censés être indépendants - mais qui sont de plus en plus pauvres parce qu'ils sont de plus en plus nombreux et gagnent de moins en moins.
Les revendications des livreurs, ce n'est pas le salariat qu'ils considèrent comme étant de moins en moins protecteur, non ! Les luttes de ces nouveaux travailleurs doivent permettre leur émancipation vis à vis des plateformes, ce que Jérôme Pimot appelle un « salariat autonome » mais qui reste à négocier.
Pour l'instant, là, on est en train de créer des collectifs qui ensuite se chargeront de négocier et de discuter les uns avec les autres comment on doit travailler parce que, quelque part, ce n'est pas aux plateformes de définir comment doivent travailler des livreurs. Les plateformes, elles sont gérées par quelques capitaines d'industrie, quelques « marketeux », quelques développeurs informatiques, mais c'est des gens qui sont rarement montés sur un vélo à l'échelle d'un livreur, c'est-à-dire 8 ou 10 h par jour. Donc, en fin de compte, il faut que ça change ça : ces algorithmes d'affectation des commandes ou de tarification des livraisons sont construits par des gens qui sont jamais montés sur un vélo !
Cette année 2020 en plein confinement, ils étaient de plus en plus nombreux à dévaler les avenues des villes pour servir des repas. Et plus il y a de livreurs, plus les tarifs baissent. Il y a 5 ans, une course rapportait minimum 7,50 €, aujourd'hui, ce chiffre est tombé à 2,60 €. Cela a tout transformé. Sur les vélos, ce ne sont plus les mêmes qui acceptent ces conditions. Des mineurs ont récemment fait leur apparition.
Les livreurs licites gagnant de moins en moins, les mecs, ils ont arrêté de bosser et donc ils se sont mis à louer leur compte aux réfugiés et puis aussi aux petits de la cité, des fois mêmes séchaient les cours, allaient livrer du Uber Eats ou Deliveroo. Il avait quatorze, quinze, seize ans. On en avait croisé un, un jour, dans la rue qui avait onze ans, qui travaillait sur le compte de son grand frère. Les plateformes mettent en place directement ou indirectement ce genre de système qui va de pire en pire, en fait. Tout ça pour quoi ? Parce qu'il n'y a pas de régulation.
Jérôme Pimot lui est toujours sur son vélo. Aujourd'hui coursier salarié dans une entreprise de transport de courriers et de service, il ne dit pas de boycotter les plateformes. Sa seule recommandation pour les clients : donner un pourboire entre cinq et 10 €. Une façon de soutenir mais surtout de payer les livreurs au vrai prix.
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