C'est une autre paire de manches que de s'atteler à l'origine de cette expression « une autre paire de manches ». Lucie Bouteloup reçoit Bérengère Baucher, directrice éditoriale aux Éditions Le Robert.
C'est une autre paire de manches. Ça pourrait être, « C'est une autre histoire ».
C'est un autre moment. Pour moi, c'est quelque chose qui était avant. Normalement, on a deux manches, et quand on est un monstre on a trois bras.
Quand il y a deux personnes qui se parlent mais qui ne parlent pas vraiment la même chose. Peut être parce que une autre paire de manches, paire comme ils sont deux, voilà, et une autre paire bah... Chacun pense qu'il parle de quelque chose et en fait chacun parle d'une paire de manches, mais l'autre dit que c'est une autre et vice versa.
Ça veut dire, que c'est pas la même chose. Je pense ça vient de... À l'époque les gens ils portaient tous des manches, des chemises, c'était après les mêmes et du coup si quelqu'un par exemple était un peu différent, il venait d'ailleurs, il avait une autre chemise, du coup c'était une autre paire de manches et du coup c'est venu dans l'expression. C'est autre chose.
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Alors Bérangère Baucher, c'est une autre paire de manches que de s'atteler à l'origine de cette expression. Une autre paire de manches, donc, qu'est ce que ça veut dire?
Alors, une autre paire de manches, ça a d'abord été utilisé comme équivalent de « C'est tout à fait différent » pour exprimer vraiment une différence. Aujourd'hui, on l'utilise plutôt pour évoquer une difficulté dans le sens de c'est plus difficile, sous entendu plus difficile que ce qu'on a évoqué précédemment, que ce dont on vient de parler.
Ça date de quand cette expression?
Alors cette expression, elle est apparue en 1600.
Ah oui, ça remonte pas à hier.
Ça remonte pas à hier et encore. Pour la comprendre, il faut remonter encore plus haut, au Moyen-Âge et à la Renaissance où les manches étaient un véritable accessoire de mode... Amovible. Absolument. Désignait de larges manches bouffantes, des fausses manches en quelque sorte, qu'on plaçait par-dessus les manches de son habit, de sa chemise. L'expression en tant que telle, elle est parfois attribuée aux artisans couturiers qui rechignaient un peu devant la fabrication d'une nouvelle et énième paire de manches. Mais il y a d'autres hypothèses qui circulent. L'expression pourrait signifier au Moyen-Âge changer de partenaire en référence à la coutume qui voulait qu'on échange ses manches au moment des promesses de fidélité.
C'est à dire qu'on offrait sa paire de manches à sa promise.
Absolument. C'était une valeur symbolique, évidemment, d'amour et de promesse d'amour.
Donc quand on changeait de paire de manches, fatalement, ça voulait dire qu'on changeait de promesse d'amour, qu'on changeait d'histoire d'amour.
Absolument. Tragédie absolue.
Oui. Bon, et puis je ne peux pas m'empêcher de penser à l'origine grivoise à cause de l'association de paire et de manche, car le manche désigne encore le membre viril, dans l'argot dans certaines autres expressions.
Alors les manches des vêtements, on les retrouve dans d'autres expressions. On dit qu'on a quelqu'un dans sa manche pour dire qu'on a quelqu'un sous le coude, on se retrousse les manches. Quand on se met au boulot, on fait la manche quand on demande l'aumône.
Oui, là c'est intéressant. Pour garder quelqu'un dans sa manche, on voit qu'on se servait des manches comme de poches, d'où cette expression. Pour faire la manche... là, c'est dans le sens de mendier. C'est intéressant. Il faut faire un détour par l'italien pour en percer l'origine. Manche, dans ce cas, est en effet emprunté à l'italien Mancha qui veut dire don, gratification puis qui a voulu dire pourboire, aumône qui lui même était emprunté au français manche. La manche, par allusion à une tradition médiévale qui consistait pour les dames à offrir symboliquement une de leur manche aux chevaliers qui joutaient pour elles lors d'un tournoi. En fait, ils accrochaient cette manche au bout de leur lance.
Ce qui serait probablement l'origine des manches des parties de cartes.
Alors ça, c'est plus par analogie, parce qu'en fait la partie d'un jeu est liée à une autre comme deux manches d'un habit, le sont. Il y a une première et une seconde manche.
En tout cas Bérengère, cette manche, il ne faut pas la confondre avec une autre manche qu'on retrouve dans d'autres expressions.
Absolument. La manche a beaucoup d'homonymes en fait. Par exemple, le manche qui désigne la partie longue, étroite, par lequel on tient un outil ou un instrument quand on l'utilise et qu'on retrouve, comme dans l'expression par exemple, être raide comme un manche à balai. Mais il y a un autre manche qui a encore un homonyme qu'on trouve dans l'expression « S'y prendre comme un manche », ça veut dire être maladroit, incapable.
Qu'on est gauche quoi.
Exactement. Ce manche-là est l'abréviation du terme manchot qui est employé dès le XVIIᵉ siècle comme synonyme de maladroit.
Mais alors, est-ce que manchot, ça vient de l'animal, le manchot?
Pas du tout. En fait, tous ces manches-là, ce sont des homonymes, mais en fait ils appartiennent à la même famille, à la famille de Manus, en latin qui veut dire la main. Comment ça ? La manche, ben oui, à l'origine, dans notre paire de manche, elle recouvre la main comme dans manchette ou le manchon. Le manche d'un ustensile se tient par la main, tandis que le manchot, lui, il est infirme de la main. Mais il y a des... Il y a des mots très surprenant d'ailleurs, qui font partie de la famille de main et de manche. Par exemple, si je vous dis « maintenant », ça veut dire littéralement tenir dans sa main, ou émanciper, qui veut dire littéralement prendre en main.
Prendre en main ce qui revient à l'idée, c'est une autre paire de manches. Donc on prend quelque chose d'autre en main, on recommence une histoire et la boucle est bouclée.
Bravo! Oui, c'est ça.
Et bien merci Bérengère Baucher d'être venue nous parler de cette expression dans La puce à l'oreille. Je suis bien contente de vous avoir eu dans ma manche. Je rappelle aux auditeurs que le nouveau dictionnaire historique de la langue française vient de paraître au Robert, une ultime édition sous la direction d'Alain Rey. Merci encore et à bientôt autour d'une autre expression.
Avec plaisir.
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