Au lendemain de la Saint-Valentin, Lucie Bouteloup dédicace cette chronique à tous les cœurs brisés qui se sont « pris un râteau ». Elle reçoit Jean Pruvost, lexicologue et historien de la langue française.
...
La puce à l'oreille.
Bonjour Lucie.
Bonjour Pascal, bonjour Julie. Bonjour.
J'ai comme l'impression que la St-Valentin s'est mal passé pour vous.
Ça se voit tant que ça ? C'est vrai, pendant que les tourtereaux se regardaient avec des yeux dégoulinants d'amour au restaurant, eh bien moi, Pascal, je me suis pris un râteau. « Se prendre un râteau », donc l'image est parlante, mais d'après vous, est-ce que cette expression a quelque chose à voir avec l'outil du jardinier ? La réponse dans quelques instants avec Jean Pruvost, mais avant Pascal...
Les enfants qui n'y connaissent rien.
Un râteau... Ma mère m'a déjà expliqué, c'est je me suis fait avoir à peu près. Comme on m'a posé un lapin par exemple, on m'a dit quelque chose, mais c'était faux. Voilà, pour moi ça veut dire ça. Alors « se prendre un râteau », c'est quand, genre par exemple, tu avoues tes sentiments à quelqu'un et tout, genre si tu lui dis ouais, je t'aime machin et que l'autre, il te dit bah moi, je ne t'aime pas, genre dégage et tout. C'est genre savoir que c'est pas réciproque, que voilà quoi. Je sais pas, déjà des fois, il y a souvent dans des gags genre les gens ils marchent sur un râteau, ça genre, ça leur revient dessus.
Donc ça se trouve il y avait quelques personnes qui pouvaient laisser leur râteau dans leur jardin et qui arrivaient, qui avaient oublié qu'ils avaient laissé leur râteau et qui marchaient dessus et qui se le prenaient dans la tronche. Et du coup, bah peut-être qu'ils voulaient profiter de l'expression pour parler ça, mais avec l'amour que ça se reprend à la tronche alors que toi t'es prêt à donner ta vie pour la personne avec qui tu vis.
C'est joli donner sa vie à la personne que l'on aime. Alors Jean Pruvost, « se prendre un râteau », l'image est assez forte quand même. On visualise tout de suite le gag.
Oui, et puis les enfants ont vraiment dit de très belles choses. Le sentiment qu'on a pour quelqu'un mais qui n'est pas réciproque. Le mot a été dit. « Poser un lapin » alors poser un lapin, c'est pas tout à fait ça. Mais enfin, quelqu'un qui vous pose un lapin, c'est qu'il a pas de sentiments pour vous pendant que vous vous attendez pendant des heures. Donc tout ça est vraiment très joli.
Qu'est-ce que ça veut dire « se prendre un râteau » ?
Alors « se prendre un râteau », c'est échouer. C'est dans une entreprise, une séduction amoureuse, le plus souvent, être repoussé. Être éconduit, alors pas repousser violemment, mais le sentiment n'est pas réciproque et on se prend un râteau. Alors c'est souvent les hommes qui disent ça parce qu'ils ont un vocabulaire plus familier. Et parfois c'est eux qui déclarent souvent leur flamme. Alors, ils prennent...
Oh non, Jean, je partage pas du tout votre point de vue, il y a un choc des générations.
Déclarez-moi votre flamme, je vais prendre un râteau, je le sens.
Absolument pas. Se prendre un râteau, une expression, on l'a entendu, les petites filles la connaissent très bien. Elle est encore très utilisée cette expression, notamment dans les cours de récréation, et pas que par les garçons, par les filles de tous âges.
Oui, oui, c'est vrai, c'est sûrement parce que j'ai pris beaucoup de râteaux.
Il y a plusieurs explications possibles pour cette expression. Quand on dit se prendre un râteau, est-ce qu'il s'agit bien du râteau du jardinier ?
Alors ça c'est probablement une interprétation très récente et qu'on comprend tous, c'est-à-dire on a tous laissé un râteau traîner, il se met toujours du côté, les dents vers les cieux et on marche dessus et on prend dans la figure, entendons le manche. Mais en réalité, faut remonter très loin. Il faut remonter au latin radérer. Radérer voulait dire grignoter, faire du bruit. Alors ça a donné un mot germanique qui nous a donné le rat qui grignote. C'est ça l'origine du mot.
Le rat, le rongeur, l'animal.
Le rongeur. Et puis ce radérer a donné une expression dans les armes à feu qui était : prendre un rat. Et prendre un rat dans les armes à feu, alors on est au 17ᵉ, voire au 16ᵉ, eh bien, prendre un rat, c'était le son que produisait donc le chien, c'est-à-dire la partie qui allait frapper le silex pour faire une étincelle. Et parfois en frappant le silex, ça marchait pas, ça prenait pas, ça faisait « rrrr », et c'était prendre un rat. Ça voulait dire donc...
Échouer.
Échouer avec une arme à feu. Puis très vite, par métaphore, c'est devenu échouer sans forcément avoir une arme à feu. Alors ce qu'il faut avoir en tête, c'est que le verbe rater n'existait pas avant qu'il y ait l'expression « prendre un rat ». C'est sur l'expression « prendre un rat » qu'on a fait rater. Et il y a quelque chose d'ailleurs qui montre encore l'origine de l'arme, on rate son coup et son coup de feu en fait, il faudrait dire au début.
On aurait donc pris un rat avant de prendre un râteau. Et cette expression, on la retrouve également dans le dictionnaire Littré où l'expression rater signifie ne pas venir à bout d'une femme.
Oui, aussi.
Dans tous les cas, on comprend bien que ce soit le râteau qu'on prend en pleine figure ou le rat, l'échec de l'arme à feu, de toute façon, l'image est extrêmement violente. C'est quelque chose qui vient nous percuter en pleine face.
Oui, c'est douloureux. Bon, vous prenez un râteau, mais le lendemain, vous invitez la jeune fille ou inversement. La jeune fille invite le jeune homme dans le jardin et puis vous ratissez ensemble.
Alors on peut se prendre un râteau, mais on peut aussi se prendre une veste.
Oui.
On se prend un vent.
Alors oui, là, c'est encore pas loin du soufflé. Oui, dans le midi, je l'entends de temps en temps. On dit aussi : ah, j'ai pris un voyage. Et donc les expressions ne manquent pas.
Tout un programme plus ou moins réjouissant. Heureusement, mon cher Jean, pour l'instant, vous ne m'avez jamais éconduite. Vous pouvez réécouter cette puce ainsi que toutes les précédentes sur le site de RFI, également sur le nouveau site francaisfacile.rfi.fr fr. Merci Jean et à très bientôt autour d'une nouvelle expression.
Merci beaucoup Lucie.
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