« Le report de l’âge légal de la retraite à 65 ans n’est pas un totem » a déclaré la Première ministre française, Elisabeth Borne. La formule est originale. Dans les cultures amérindiennes, un totem est une sculpture verticale représentant un animal, symbole protecteur d'un clan, d'une tribu. Les mots « totem » et « tabou » sont souvent liés : c’est le titre d’un fameux ouvrage du neurologue et psychanalyste Sigmund Freud. Écoutez les explications d'Yvan Amar dans cette chronique, avec sa transcription.
Le mot de l'actualité avec la délégation à la langue française du ministère de la Culture. Yvan Amar.
« Le report de l'âge légal de la retraite à 65 ans n'est pas un totem » et c'est ce qu'a déclaré la Première ministre française Elisabeth Borne, avec une formule très originale au point qu'il y a un certain nombre d'auditeurs et d'auditrices qui nous ont demandé ce qu'elle entendait par là. Eh bien, la phrase elle frappe, c'est vrai, elle est peut être faite pour ça d'ailleurs, mais l'expression on peut la comprendre, c'est que cet âge de 65 ans n'est pas un principe sacro saint, une détermination non négociable. Ce qui signifie qu'on peut en discuter, on peut la remettre en cause, l'aménager. Tout cela n'est pas intouchable, sacré, au point que si on y touchait, on remettrait en question tout ce qui l'entoure et la légitimité même de ceux ou de celles qui l'ont envisagée. Autrement dit, ce report de l'âge légal de la retraite n'est pas tabou. Alors, est ce que ces deux mots « totem » et « tabou » sont synonymes? Pas vraiment. Mais si on dit que ça n'est pas tabou, là encore, on a une image originale, moins surprenante. Comme si un mot, peut-être, valait pour l'autre. Cela peut s'imaginer parce que « totem » et « tabou » sont souvent liés. D'abord parce que c'est le titre d'un fameux ouvrage de Sigmund Freud. Et dans ce livre, l'inventeur de la psychanalyse étudie et met en rapport ces deux mots d'origines différentes. « Tabou » vient d'une langue polynésienne « totem », ça vient d'une langue indienne d'Amérique du Nord. C'est donc très loin. Il y a plusieurs milliers de kilomètres entre les deux origines de ces mots, et les réalités désignées sont bien différentes aussi, mais font référence à une sorte d'interdit sacré. Pour tabou, c'est clair, on ne doit pas toucher à ce qui est tabou sous peine de commettre un sacrilège. Cela relève de la profanation. Totem, a priori, n'a rien à voir. D'abord, au départ, c'est un nom, alors que tabou dans son importation française est utilisé comme un adjectif. Et donc le totem est un nom qui désigne un animal le plus souvent, parfois un végétal. Et c'est le symbole protecteur d'un clan, d'une tribu qui par là même est intouchable. Et comme ce symbole est souvent représenté sous forme d'une sculpture verticale plantée dans le sol, on imagine le plus souvent un totem conforme à cette image. Donc on comprend bien que le totem finit par représenter la société à laquelle il donne son nom et qu'il représente. Et ce clan, ce genre de famille élargie est régi par un certain nombre de règles, en particulier des interdits sur les relations sexuelles. Alors, à une époque, celle de Freud, où on s'intéresse beaucoup à la prohibition de l'inceste, c'est à dire à la défense de l'inceste qui est susceptible d'être un genre de ciment de toute construction sociale, même si elle prend des formes différentes selon les sociétés. Eh bien Freud va se pencher sur les relations entre l'identité d'une cellule sociale, celle qui est évoquée par le totem, et puis les interdictions qui semblent fonder cette cellule sociale, les tabous qui la structurent. Alors le livre a eu beaucoup de succès au point que les deux mots « totem » et « tabou » sont souvent associés. Ça peut probablement permettre de comprendre la phrase utilisée par la Première ministre française, Elisabeth Borne à propos de l'âge de la retraite.
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