Le français des banlieues au cinéma
« C’est chanmé ! », « c’est kiffant !, « j’ai trop l’seum ! »… Le français des banlieues a son propre langage et il s’affiche aussi au cinéma. Dans cette chronique, découvrez avec elle un extrait du film L’Esquive et analysez les caractéristiques du « parler des cités ».
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► EXERCICE - Extrait de la chronique La Puce à l'oreille se fait une toile du 26 mai 2020
► LEXIQUE
La langue : causer ; un code ; classique ; le verlan ; un argot ; emprunté/empruntée ; une rythmique ; une joute oratoire ; un propos ; un marqueur social.
Le théâtre et le cinéma : un costume ; un personnage principal ; un spectacle ; une pièce ; mettre en scène ; décrocher un rôle ; un acteur/une actrice ;
Le français des banlieues : kiffer ; chanmé ; kiffant/kiffante ; putain ! [insulte] ; cracher la monnaie ; enculé ! [insulte] ; avoir le seum ; s'en battre les couilles ; carotter.
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La Puce à l'oreille se fait une toile.
La Puce à l'oreille.
« Viens ! On les mange et après on va au cinéma. Cinéma ? »
Bonjour Lucie.
Bonjour Pascal.
Vous avez « kiffé » pour un film qui parle comme on cause dans les banlieues ?
Oui ! Cette semaine, j'ai à nouveau choisi un film qui témoigne à la fois d'une époque et d'une géographie bien spécifique, avec ses codes et sa façon de parler. C'est « l'Esquive » d'Abdellatif Kechiche, sorti en 2003. On écoute un premier extrait... Ici, il est question d'une robe :
« - Alors elle est belle ou pas ?
- Elle est "chanmée" !
- Nan, mais sérieusement ?
- Wallah, ça fait plaisir, merci !
- Ah, on dirait Miss France !
- Franchement, elle est trop belle !
- 60 euros, la putain de sa mère !
- Quoi ?
- Ouais, j'ai craché la monnaie, frère.
- Ah, l'enculé !
- Bah ouais, j'avais le seum...
- C'est pas grave, t'en bats les couilles ! Au moins, elle est belle, il t'a pas carotte. »
Cette robe, c'est le costume que Lydia, l'un des personnages principaux du film, doit porter pour son spectacle de théâtre de fin d'année au collège. Une robe qu'elle vient de montrer à sa copine, très XVIIIe, tout en corset, en jupon. Parce que la pièce en question, eh bien c'est la pièce la plus célèbre de Marivaux, « Les jeux de l'amour et du hasard ». Alors le film met en scène les amours contrariés de deux jeunes adolescents de banlieue, Abdelkrim, dit Krimo, un ado introverti, et Lydia - qu'on entendait à l'instant - une belle blonde piquante qui le fait languir. Et Kechiche est bien dans l'esquive. Il nous raconte justement comment Krimo va tenter de séduire Lydia en décrochant un rôle auprès d'elle dans la pièce de Marivaux.
Mais dans l'extrait que nous avons entendu, je ne retrouve pas tout à fait la délicatesse classique de Marivaux, Lucie.
Oui, c'est vrai. Cette façon de parler, on commence à l'entendre dans le cinéma au milieu des années 80, avec des films d'un nouveau genre, des films dits « de banlieue ». Et celui qui ouvre la voie, c'est « Le Thé au harem d'Archimède » en 1985. Mais à l'époque, on est très loin de la façon de parler qu'on peut entendre dans les cités aujourd'hui. Il y a de l'argot, c'est vrai, mais l'accent n'est pas le même. Et puis on sent un petit peu moins de violence. Le film qui va vraiment faire connaître au grand public la vie de la banlieue et ce phrasé si typique, c'est « La haine » de Mathieu Kassovitz en 1995. Et à l'époque, c'est une véritable claque.
Alors c'est vrai que depuis, il y a eu beaucoup de films qui se sont déroulés dans les banlieues avec ce parler un peu particulier, notamment « Les Misérables » de Ladj Ly il y a encore quelques mois. Mais dans « L'esquive », il y a une autre approche de la banlieue et c'est vraiment la langue qui est le cœur du film.
Oui, c'est un peu comme si Kechiche zoomait sur cette langue si spécifique, une langue avec des mots qui claquent comme des coups de poing. Il y a du verlan, il y a de l'argot. Il y a aussi beaucoup de mots empruntés à l'arabe et aux autres communautés qui cohabitent dans les périphéries. Et puis il y a ce flow, cette rythmique très rapide, avec des acteurs qui se renvoient la balle avec une aisance absolument désarmante. En fait, on est dans la joute oratoire et à vrai dire, même si parfois on ne comprend pas tout, si on peut même être choqué parfois par la violence des propos, et bien on n'a pas envie d'en perdre une miette.
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