Brahim et Monique: Mai-68 vu des bidonvilles
Près de l’université de Nanterre où a démarré le mouvement étudiant, il y avait des bidonvilles dans lesquels vivaient des immigrés, pour la plupart venus des pays de Maghreb au début des années 60. Comment ces populations considéraient-elles la révolte étudiante ? Écoutez Brahim Benaïcha et Monique Hervo nous parler d’un Mai-68 auquel ils n’ont pas vraiment participé.
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► EXERCICE - Extrait du Reportage France du 22 mars 2018
► LEXIQUE
Le mal logement : un bidonville ; construire en dur ; un baraquement ; délabré/délabrée ; l’eau courante ; l’électricité ; être à la rue ; une planche.
L’université : un étudiant/une étudiante ; une bibliothèque ; une faculté.
Les manifestations : la casse ; un dégât ; le désordre ; une confrontation ; un policier/une policière ; casser ; brûler ; une revendication ; un mouvement ; un slogan ; un combat ; une contestation ; une lutte.
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Nanterre, pour tout le bidonville de la Folie, 10 000 habitants, un seul poste d'eau. Nul n'a le droit de construire en dur dans ces villages voués à la destruction.
102 rue des Pâquerettes, à Nanterre, un bidonville fait de baraquements délabrés, sans eau courante, ni électricité. C'est là que Brahim Benaïcha, 16 ans en mai 68, habite avec toute sa famille. Les étudiants, il les connaît bien. Certains les amènent lui et ses copains à la piscine ou à la bibliothèque de l'université flambant neuve. Mais lorsque surviennent les événements, la révolte étudiante, l'incompréhension est totale.
Nous, on voyait la casse, on comprenait pas qu'on puisse casser quelque chose qui était neuf. Le nec plus ultra, c'est qu'ils nous disent : « C'est contre le capitalisme, c'est pour les ouvriers comme vos parents, etc. » Alors, on comprend plus. Quand on traversait la faculté de Nanterre, c'était ces manifestations, ces dégâts, ce désordre. Il y avait une confrontation étudiants-policiers. On leur dit : « Mais pourquoi vous cassez la faculté de Nanterre? Venez brûler le bidonville, laissez-nous habiter là-dedans. »
Brahim Benaïcha est jeune, il finit par comprendre les revendications de ces étudiants privilégiés, mais il ne se joindra jamais à eux. Quant à ses parents et aux immigrés algériens de leur génération, le fossé est encore plus profond.
Nos parents ça les choquait, parce que c'est des gens besogneux qui travaillent et moins ils font de bruit, mieux ça vaut. C'était l'attitude à l'époque.
C'était aussi une question de sécurité pour eux de ne pas faire de vagues ?
Totalement, parce que faut pas oublier en 68... L'indépendance, je parle pour les Algériens, c'est 62. On était en train de prendre nos marques et en général, c'est des gens qui font pas de bruit.
Monique Hervo a 89 ans. En 68, elle en avait 39, dont plus de 10 années passées dans les bidonvilles de Nanterre, où elle a monté une antenne du Service civil international. Elle a bien vu quelques étudiants tenter de rallier les habitants des bidonvilles à leur mouvement.
C'est deux mondes parallèles, même si après il y a eu le slogan : « Français et immigrés, même combat ». Non, ce n'est pas le même combat. Bon, ils sont pas à la rue, ils sont pas sous 3 planches. On ne mesure pas le décalage.
Est-ce que justement, ce n'était pas l'occasion, Mai 68, de sortir de leur bidonville et d'aspirer à mieux ?
Non, parce qu'ils n'étaient pas pris en compte. Même à la faculté, c'était le Français qui avait la parole mais on leur a jamais demandé, à eux, qu'est-ce qu'ils attendent !
Les immigrés de Nanterre n'ont pas pris part à la contestation de Mai 68. Leur lutte à eux a pris fin en 1971, lorsque les bidonvilles de Nanterre ont été détruits.
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