«Tirer le diable par la queue» = avoir des difficultés financières
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Dans La Puce à l’oreille, Lucie Bouteloup « tire le diable par la queue ». Une expression bien moins réjouissante qu’il n’y parait... Les explications avec Catherine Mory, auteure de l’ouvrage Au bonheur des expressions françaises, édité chez Larousse.
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La Puce à l'oreille
Alors la culture dite populaire, il y a les contes, il y a les proverbes, mais il y a aussi les expressions forgées au fil du temps. Et ça c'est avec vous. Bonjour Lucie.
Bonjour Pascal.
Petite devinette je suis tout rouge, j'ai une fourche et une longue queue. Qui suis je ?
Comme vous y allez ! Je suis le diable, bien sûr...
Vous m'avez démasqué !
Le diable...
et aujourd'hui, dans La Puce à l'oreille, je vous propose justement qu'on tire le diable par la queue.
Ben tiens !
Une expression, hélas, bien moins réjouissante qu'elle en a l'air. Et pour en parler, je reçois Catherine Mory. Mais avant, comme d'habitude, Pascal ?
Les enfants...
Pour moi, tirer le diable par la queue, c'est comme un peu tirer trop la corde. En fait, quand tu fais trop de choses qui sont mal et tu en fais tout le temps alors qu'on te dit arrêtes. C'est comme un peu arrêtes de tirer les haricots.
L'origine ? À mon avis, c'est brésilien.
Alors pour moi, déjà, le diable, c'est une personne un peu qui se moque, qui fait les choses mal. Le diable, ça représente le mal. Donc, c'est quand tu tires le diable par la queue, ben ça veut dire que tu te moques un peu de tout le monde, que tu es un peu comme le diable, des méchants.
Genre, quand tu cherches un peu les problèmes. Par exemple, le diable, ben, il est méchant et si tu l'embêtes trop, bah, il t'apportera des problèmes. Donc tirer le diable par la queue, c'est genre tu le provoques, c'est chercher à avoir des ennuis, quoi.
La Puce à l'oreille !
Bonjour, Catherine Mory.
Bonjour Lucie Bouteloup.
Alors, tirer le diable par la queue, les enfants ont du mal avec cette expression. Il faut dire qu'elle n'est pas très, très utilisée aujourd'hui.
C'est dommage. Moi, je l'aime beaucoup. Alors quand on tire le diable par la queue, c'est qu'on a des soucis financiers. L'origine est assez incertaine. C'est une expression qui date du XVIIᵉ siècle et on pense que celui, donc, qui a des soucis financiers, va solliciter le diable puisque le diable peut éventuellement lui donner des moyens pour redevenir riche.
Mais pourquoi par la queue ?
Alors pourquoi par la queue ? Eh bien parce qu'on pense que le diable se montrerait réticent, s'éloignerait et que, pour le retenir, on le tirerait par la queue. Voilà, ça c'est le sens actuel. Mais on constate que dans les expressions françaises, très souvent, par la queue signifie qu'on fait des choses à l'envers. Par exemple, brider l'âne par la queue, c'est faire les choses à l'envers, puisqu'on ne va pas brider l'âne par la queue, évidemment, mais mais par la tête. Et donc cette expression aurait peut-être eu un autre sens au début, à savoir de vouloir attirer le diable, mais maladroitement, en s'y prenant mal.
Et puis, il y a une autre explication possible. Le diable, c'est aussi un grand râteau que les paysans utilisaient pour racler le champ dans les périodes de disette, quand le seigneur finalement leur prenait tout et que donc les paysans se retrouvaient à ne pas pouvoir joindre les
deux bouts,
D'accord. Oui, alors, ne pas pouvoir joindre les deux bouts, ça c'est une autre expression très célèbre. C'est les deux bouts de la récolte dont il s'agit. C'est-à-dire que la récolte de l'année passée sera insuffisante pour tenir jusqu'à la nouvelle récolte.
Mais la queue du diable, ça pourrait aussi vouloir dire tirer le cordon de sa bourse.
Ah oui, je ne connaissais pas cette interprétation là.
Puisque quand une bourse était vide à l'époque, on disait qu'elle contenait le diable.
Ensuite, il y a beaucoup d'expressions qui mettent en scène le diable aussi. Moi je ... il y en a beaucoup qui sont très savoureuses. Par exemple, vous avez se démener comme un diable dans un bénitier. Évidemment, le diable n'est pas dans son élément quand il est dans un bénitier, donc ça signifie beaucoup s'agiter, beaucoup se démener.
Et puis, il y a se faire l'avocat du diable...
Se faire l'avocat du diable qui était une réalité historique. C'est-à-dire que quand il y avait un procès en canonisation, qu'on s'interrogeait sur la capacité à faire de tel individu un saint, eh bien, il fallait toujours que quelqu'un adopte la posture de l'avocat du diable. Et donc, il devait fouiller dans le passé du postulant à la sainteté pour y dégoter quelques péchés véniels, une fugace envie de fraises, le frémissement d'une pulsion meurtrière envers un moucheron. Enfin, voilà. Donc, c'était une réalité historique, oui.
Au diable l'avarice, au diable Vauvert, envoyer quelqu'un au diable! Enfin, dans tous les cas, le diable renvoie évidemment à quelque chose d'extrême ou de négatif. Ce n'est jamais une image très positive quand on le sollicite. Alors, en Italie, on lèche la sardine.
Ah oui, oui, c'est vrai. Oui, je me souviens de ça. En Allemagne, on ronge la nappe de la faim.
Et en Roumanie, ce n'est pas le diable qu'on tire par la queue, mais c'est le chat.
Ah oui. Mais les chats ont toujours eu mauvaise presse, les chats ont toujours un peu été liés à la sorcellerie, donc ...
Et au diable.
Et au diable. Donc, ma foi, ça se rejoint.
Eh bien, merci Catherine Mory pour votre éclairage. C'est sûr, avec la réédition de votre ouvrage chez Larousse, vous n'aurez pas à lécher les sardines. Votre ouvrage, on le rappelle, s'intitule « Au bonheu des expressions françaises ». Il vient d'être réédité aux éditions Larousse. Vous pouvez réécouter cette chronique sur le site de RFI, mais aussi sur le nouveau site français facile point rfi point fr. À très bientôt autour d'une nouvelle expression.
Merci beaucoup.
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