«Être comme l’âne de Buridan» = hésiter, être indécis
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Être comme l’âne de Buridan, une expression qui ne date pas d'hier, mais qui va peut-être redevenir à la mode. Pour nous éclairer, La Puce reçoit Catherine Mory, autrice du livre Au bonheur des expressions françaises publié chez Larousse.
[Musique]
La Puce à l'oreille
Bonjour Lucie.
Bonjour Pascal.
Vous remarquerez que je ne vous ai pas traité de mamie...
Vous n'oseriez pas ! J'espère...
Ben non, vu votre jeune âge...
Alors les mots anciens, oui, c'est vrai. Faut dire qu'entre...
Vous aimez ça, quand même, il faut le dire.
J'aime ça les nouveaux mots, absolument, mais entre les nouveaux mots et le charme de l'ancien, je suis un peu comme l'âne de Buridan. Vous me voyez venir... Être comme l'âne de Buridan, donc une expression, c'est vrai, elle ne date pas d'hier, mais peut-être qu'elle va redevenir à la mode. Alors des explications s'imposent. Et pour en savoir plus, j'ai posé la question à Catherine Mory, mais avant Pascal...
Les enfants...
Pour moi, il est comme l'âne de Buridan, ben, comme un âne, souvent c'est un peu idiot. Par exemple, dans l'ancien temps, on disait ben l'âne, c'est bête, on mettait le bonnet d'âne et tout. En gros, cette personne, elle est complètement idiote. Ou alors ça parle d'une légende qui parle d'un âne qui vient de Buridan. Et qui est très bête, et du coup, on appelle comme ça les gens qui sont bêtes. Pour moi, ça veut dire c'est quelqu'un qui fait un peu n'importe quoi parce que souvent on dit tu fais l'âne, c'est quand tu fais peu n'importe quoi. Et Buridan, ça me fait penser un peu à bourrique. Donc c'est faire la bourrique, quoi. Un âne, c'est un peu bête, donc pour moi... ça veut dire qu'il est bête. Sinon, ça pourrait être genre quelqu'un qui est très, très respecté, un peu comme un dieu. Comme si l'âne, c'était un peu l'animal sacré de Buridan, que tout le monde admire et tout.
C'est la Puce à l'oreille
Bonjour Catherine Mory.
Bonjour Lucie.
Alors il est comme l'âne de Buridan, les enfants, ça les laisse sans voix. Bien sûr. Qui est donc ce Buridan ?
Buridan, c'est un philosophe français du XIVᵉ siècle à qui on attribue cette expression. Mais c'est quand même très hypothétique parce que dans aucun écrit de Buridan, on ne trouve cette histoire d'âne. Alors de quoi s'agit-il ? Vous avez un âne qui a également faim et soif. Cet âne est placé devant un seau d'eau et devant un picotin, donc une ration d'avoine. Et l'âne hésite. Est-ce qu'il va d'abord boire une lampée d'eau ou est-ce qu'il va d'abord prendre un peu d'avoine ? Alors il fait un pas vers l'eau, et puis il regarde l'avoine. Et elle est tellement appétissante cette avoine, que finalement il recule, et il se dirige vers l'avoine. Mais là, il s'aperçoit que sa gorge est un peu sèche. Alors il se ravise. Et ainsi de suite. Et donc il ne cesse d'hésiter... [Jusqu'à ?] L'eau ou l'avoine, l'avoine ou l'eau, etc. Jusqu'à ce qu'il soit tellement fatigué de réfléchir et de ne rien avaler qu'il s'affaiblit et qu'il finit par mourir d'indécision.
Elle date de quand cette expression ? Alors, ben, de Buridan sans doute, donc XIVᵉ siècle. On pense que c'est ça.
Alors quand on est comme l'âne de Buridan, on est partagé, on hésite éternellement, on est indécis. On dirait de manière plus prosaïque en disant qu'on a le cul entre deux chaises, quoi.
Ouais, on a le cul entre deux chaises et ça débouche sur une impasse avec l'âne de Buridan. C'est-à-dire vous, c'est samedi soir, vous dites est-ce que je vais au cinéma ? Est-ce que je vais au théâtre ? Est-ce que je vais au cinéma ?
Et finalement, on loupe toutes les séances...
Et finalement, on loupe toutes les séances. Voilà, ça, c'est vraiment être comme l'âne de Buridan.
Donc cette expression, comme on le disait tout à l'heure, elle n'est plus du tout utilisée.
Non. Bah non, malheureusement. Heureusement que vous êtes là pour la faire sortir, l'exhumer.
Selon le site Expressio, cette expression, on la retrouve dans plusieurs pays telle quelle, notamment en Allemagne, en Espagne et en Italie. Quant en Angleterre, on dit qu'on est assis sur la clôture. Il y a cette idée [D'accord] d'être à la frontière de deux pays ou de deux prés, et de ne pas savoir quel côté choisir. Au Brésil, on dit qu'on est entre crucifie dans la tête et le chaudron d'eau bouillante pour les pieds. Pour dire qu'on est coincé [Ah oui] entre deux situations difficiles, là c'est carrément [Ah oui, oui, oui...] quelque chose d'extrême.
Oui, c'est encore pire que pour l'âne de Buridan, parce que lui, lui, il est coincé entre deux plaisirs, mais deux tentations.
Là, c'est deux supplices.
Oui, là, c'est deux supplices.
Des expressions dans votre livre avec l'âne, il y en a pas mal. Je pense notamment à brider l'âne par la queue, sauter du coq à l'âne, elle demande de la laine à un âne, ça va prendre le temps de tuer un âne à coup de figues molles. Et puis, il y a aussi avoir un bonnet d'âne. En tout cas, dans tous les cas, les expressions sont très péjoratives. [Ah oui] Ce pauvre âne [Mais oui] ne s'en sort jamais [Oui, c'est vrai] de façon très glorieuse.
Ah oui, oui, toujours, toujours. Oui, oui, ça c'est depuis l'antiquité, hein. Oui, oui, l'âne a toujours eu mauvaise presse alors que c'est un animal qui est très intelligent apparemment. Il est têtu. Voilà, je pense qu'on a confondu son entêtement avec de la bêtise.
Eh bien, merci Catherine Mory pour votre éclairage. Je rappelle aux auditeurs que votre ouvrage « Au bonheur des expressions françaises » a récemment été réédité aux éditions Larousse. Je vous donne rendez vous pour une prochaine expression. À très bientôt.
Merci beaucoup Lucie Bouteloup.
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