C'est bien le maître de l’« Outrenoir » qui vient de mourir, nous dit-on, à propos du décès de Pierre Soulages. Ce peintre s'est rendu très célèbre pour son travail sur la couleur noire. Et pour celui qui a illustré ce courant qu'on appelle l'abstraction lyrique, le noir, était bien une couleur, celle qu'il a, pendant toute une partie de sa vie, travaillée intensément. L'idée et le mot, noir, sont très évocateurs, avec des évocations très diverses, parfois opposées et négatives. Écoutez les explications d'Yvan Amar dans cette chronique, avec sa transcription.
Le mot de l'actualité avec la Délégation à la langue française du ministère de la Culture. Yvan Amar.
C'est bien le maître de l’« Outrenoir » qui vient de mourir, nous dit-on, à propos du décès de Pierre Soulages. Et ce peintre très célèbre qui depuis longtemps vivait dans sa région de l'Aveyron, dans le sud de la France, là où un musée à Rodez regroupe un grand nombre de ses toiles importantes, et bien ce peintre s'est rendu célèbre pour son travail sur la couleur noire. Pour celui qui a illustré ce courant qu'on appelle l'abstraction lyrique, le noir, c'était bien une couleur, celle qu'il a, pendant toute une partie de sa vie, travaillée intensément. Outrenoir ? C'est un mot inventé, un mot forgé à propos de son travail, qui sous-entend que le noir le plus profond va « au-delà du noir ». C'est ça que veut dire outre. Et, s'il va au delà du noir, il peut faire jaillir la lumière. Donc Soulages ne disait pas, comme dans la célèbre chanson : « Noir, c'est noir ! ». Et en effet, pour lui, il existait toute une gamme, toute une palette de l'obscurité, même si on sait que, techniquement, physiquement, le noir, c'est l'absence de couleur, alors que le blanc c'est un concentré de toutes les vibrations colorées.
L'idée et le mot, noir, sont très évocateurs, avec des évocations très diverses, parfois opposées et d'abord négatives. Le noir, c'est la couleur de la nuit. La nuit, ce n'est pas négatif en soi, mais quand il fait nuit, plus encore quand il fait nuit noire, comme on dit, et bien on n'y voit rien. Donc, on est privé d'un sens, d'un accès au réel, ce qui, naturellement, évoque la désorientation. Et parfois, on dit qu'on est dans le noir quand qu'on ne comprend rien à une situation, qu'on n'avance pas dans une compréhension. Et parfois, et ça, c'est assez rare en français, on va utiliser un mot d'une autre langue, l'allemand : « Oh, je suis dans le Schwarz ! »
Et, par extension, le noir peut évoquer non seulement l'incompréhension, mais les mauvaises intentions. Dans l'expression, par exemple, de noirs desseins : une formule ancienne, le mot dessein désigne un objectif dans un français un peu désuet, mais le fait qu'on mette l'adjectif en premier, là encore, ça en rajoute sur le côté à l'ancienne ; non pas des desseins noirs, mais de noirs desseins. Dessein : D E deux S E I N, S au pluriel. Il ne s'agit pas de dessiner quelque chose, ça s'écrirait-là : D E deux S I N. De même, on parle d'une âme noire parfois, et cetera.
Mais l'adjectif a bien d'autres emplois, à commencer par la désignation d'une couleur de peau. Et il s'agit d'un emploi métaphorique. Les teintes varient en général du rose au marron foncé, il est rare qu'une peau soit réellement noire. Ça peut arriver, mais c'est rare. Mais l'adjectif se transforme en nom pour parler des Noirs avec une majuscule. Et on a évidemment tout un mouvement antiraciste qui a inversé les échos du mot et de la couleur, en français, et parfois dans d'autres langues importées en français, notamment l'anglais. On utilise souvent l'anglais black, considéré comme plus éloigné, moins porteur d'une histoire dépréciative. Et on se souvient du slogan qui date de la fin des années 60 : « Black is beautiful ! », c'est-à-dire le noir, c'est beau.
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