Être chauffé à blanc, est-ce encore plus chaud qu’être chauffé au rouge ? Petite typologie des couleurs dans une langue figurée. Écoutez les explications d'Yvan Amar dans cette chronique, avec sa transcription.
Le mot de l'actualité avec la délégation à la langue française du ministère de la Culture. Yvan Amar.
La réforme des retraites arrive dans une Assemblée nationale chauffée à blanc. Eh bien, c'est ainsi qu'hier, RFI a commenté l'agenda de cette Assemblée nationale française. En effet, depuis le début de la semaine, la réforme des retraites est discutée à l'Assemblée. Alors, le sujet ne laisse pas les parlementaires indifférents, c'est le moins qu'on puisse dire. Mais ça se comprend, vu le mouvement populaire extrêmement vif que le projet de réforme a suscité. Alors, on nous dit que l'Assemblée, elle est chauffée à blanc, c'est-à-dire que le climat est tendu à l'extrême, que chacun est à la limite de la maîtrise en fait. On n'est pas loin de l'hostilité, peut-être même pire. Chaque groupe voudrait donner son avis, peser sur les décisions gouvernementales, être influent dans cette mosaïque assez inédite que présente l'Assemblée nationale puisque le gouvernement n'a pas de majorité mécaniquement en ce moment.
Alors pourquoi parle-t-on d'une Assemblée chauffée à blanc ? Parce que l'atmosphère est brûlante, parce qu'elle est explosive. Les députés sont-ils chauffés à blanc? En tout cas, voilà une image qui est empruntée à la métallurgie. Un métal chauffé à blanc, il est porté au-delà de son point d'incandescence. On aurait pu dire chauffé au rouge, c'est vrai, mais de façon assez paradoxale, si on dit chauffé à blanc, ça évoque un degré encore supérieur, qui évoque quelque chose peut être de plus abstrait que chauffé au rouge. Mais, mais ça brûle.
Et d'ailleurs, chaque couleur dans des expressions différentes fait naître des évocations différentes. À blanc, par exemple, peut avoir d'autres significations : intensif bien sûr. Saigner à blanc un animal, par exemple, c'est le saigner complètement jusqu'à ce qu'il n'ait plus de sang. Donc c'est comme ça qu'on comprend la référence à cette couleur. Mais parfois, au lieu de faire penser à un intensif, la couleur évoque un recul ou même une absence. Pour les armes à feu par exemple. Tirer à blanc indique qu'on a tiré un coup de feu, mais sans qu'aucune balle ne soit engagée dans l'arme. La poudre a explosé sans faire partir de projectile. Mais avec le vert, par exemple, rien à voir. Le vert, il évoque presque toujours la campagne, la verdure. Notamment dans l'expression se mettre au vert, quitter la ville. Mais en revanche, la formule feu vert indique une permission, un accord. « Oh, j'ai le feu vert du patron. On peut commencer à mettre notre projet en route ». Quand à l'orange, bah, lui aussi il nous fait revenir dans un environnement urbain. Passer à l'orange, c'est passer quand le feu est orange. Techniquement on devrait dire orangé, c'est le nom de la couleur. Seulement justement, le fonctionnement figuré de la langue échappe à cette normalisation. C'est ça qui est joli. Et si le feu vert indique qu'on peut passer le rouge, qu'on n'a pas le droit de passer, l'orange, bah c'est un fonctionnement plus mitigé. En principe, il demande qu'on s'arrête, sauf si on est trop près du feu, s'il faut freiner trop brutalement. Donc l'orange, c'est toujours un feu, une couleur à négocier. Passer à l'orange, au figuré, s'emploie également. On n'a rien fait d'interdit, mais c'était juste.
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