Poutine paranoïaque ? C’est ce que prétend un ancien des services secrets russes. Paranoïaque, et non simplement parano, puisque ces deux mots n’ont pas vraiment le même sens ni le même usage... Écoutez les explications d'Yvan Amar dans cette chronique, avec sa transcription.
En partenariat avec la Délégation Générale à la Langue française et aux Langues de France (DGLFLF).
Le mot de l'actualité avec la délégation à la langue française du ministère de la Culture. Yvan Amar.
Poutine, paranoïaque ? En tout cas, c'est l'avis de Gleb Karakoulov, et c'est RFI qui nous l'apprend. Gleb Karakoulov est un ancien des services secrets russe qui a quitté la Russie mais qui, pendant longtemps, a été membre des équipes de protection du président. Et il décrit celui-ci, Poutine, comme se sentant constamment menacé. Et donc vivant dans un isolement étonnant, coupé du reste de son pays, coupé de la population et ayant en permanence peur pour sa vie. Alors ce genre d'attitude, c'est bien celle qu'on nomme aujourd'hui couramment avec ce mot : la paranoïa.
C'est un mot qui n'est pas tout récent. Le français l'a emprunté à l'allemand et cette langue l'avait elle-même emprunté au vocabulaire du grec ancien : paranoïa signifiait folie. Et puis, dans le courant du 19e siècle, la psychiatrie naissante s'est emparée du terme pour désigner un genre de délire. Et plus tard, la notion de maladie mentale s'étant répandue au-delà des médecins et des spécialistes, eh bien, ce mot est devenu plus courant pour désigner un trouble du comportement. Alors, il peut garder un sens fort, un sens assez médical même, c'est celui qu'il a, dans l'exemple qu'on vient de donner, à propos de Poutine. Seulement depuis quelques années, depuis que la langue de tous les jours a intégré un certain nombre de mots techniques qui viennent de la psychiatrie, de la psychologie, de la psychanalyse, eh bien, ce mot de paranoïa, il s'est beaucoup banalisé. De même que l'adjectif paranoïaque qui en dérive. Et on voit bien comment, à partir de cette idée de délire de persécution, le mot s'affaiblit pour renvoyer à un comportement, à un trait de caractère souvent peu comparable à une réelle maladie mentale. Mais justement, de façon un peu familière, on l'abrège : on ne dit plus paranoïaque, on dit parano. Et ça, on peut le dire de quelqu'un qui se sent facilement attaqué, qui voit de l'agressivité partout, qui pense toujours qu'on lui en veut, que les choses sont dirigées contre lui. C'est une façon de surinterpréter des phrases, des gestes, des actions qui ne sont pas forcément dirigés contre la personne qui prend si mal tout ça. Et c'est peut-être aussi cette tendance, par exemple, qui est à l'œuvre chez ceux qu'on appelle des complotistes, là, non pas sur un plan individuel, mais de façon plus globale, plus politique, et qui peut faire penser que des organisations secrètes dirigent le monde en sous-main.
Alors, cet abrègement de paranoïaque en parano fait bien sûr penser à un autre : mégalomane qui devient mégalo, là encore dans un langage familier. Et là encore, c'est une notion psychologique dont le nom vient du grec, parce que megalo est un radical qui fait penser à des idées de grandeur ou de puissance, et son sens s'est beaucoup atténué. Quand on dit mégalomane, c'est une façon familière d'évoquer ce qu'on appelait plaisamment avant la folie des grandeurs. Et quand on dit mégalo, c'est familier, répétons le, mais c'est une façon de pointer des ambitions ou des projets qu'on trouve démesurés.
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