Des informations sensibles américaines ont fuité… Quel drôle de verbe ! Mais il s’agit d’un jargon journalistique assez compréhensible et assez répandu. C’est qu’il y a eu des fuites… Écoutez les explications d'Yvan Amar dans cette chronique, avec sa transcription.
En partenariat avec la Délégation Générale à la Langue française et aux Langues de France (DGLFLF).
Le mot de l'actualité avec la délégation à la langue française du ministère de la Culture. Yvan Amar.
Un « nombre significatif » des documents qui ont fuité ces dernières semaines ont été falsifiés. C'est ce qu'on nous déclare sur l'antenne de RFI. L'information est importante, mais surtout, elle prouve bien que ce verbe fuiter, il existe et il est compréhensible à peu près pour tout le monde. Il est présent dans les dictionnaires courants, les dictionnaires français hein, et il a une signification que beaucoup de gens connaissent et comprennent assez spontanément : une information qui fuite, un rapport, un mémoire qui fuite, qu'est-ce que ça veut dire ?
Eh bien, cette information, ce rapport ou ce mémoire était censé rester confidentiel ou même secret, même peut-être ultra secret, et voilà qu'il apparaît aux yeux de tout le monde. Ce qui veut dire évidemment qu'on les a retrouvés d'abord au courrier des organes de presse qui se sont précipités bien souvent pour diffuser ou divulguer, faire connaître au grand public ce qui devait rester l'apanage d'un petit nombre. Et c'est bien ça qu'on appelle une fuite. Et c'est à partir de ce nom qu'on a forgé le verbe fuiter. Des mots intéressants parce qu'ils sont expressifs. Est-ce qu'il s'agit vraiment d'une onomatopée ? Pas loin, presque. On sait que ces fuites, dans les sens qui nous occupent, eh bien c'est une extension d'un usage, une extension figurée, parce qu'au départ, une fuite, ça peut affecter un liquide ou un gaz qui s'échappe de son contenant : une casserole qui a un trou ou une piscine qui a une fissure ou bien un tuyau et pffffuit… L'eau, le pétrole ou le gaz peuvent s'échapper en faisant justement « pffffuit ». C'est ça qu'on imagine en tout cas. Et le son qu'on va associer à cette action, ce chuintement caractéristique, va faire naître ce nom de fuite. Alors, vous allez me dire : fuite, d'abord, c'est un nom français qui dérive du latin fugere, bien sûr, mais le nom a profité de ce hasard de sonorité pour s'installer dans cet usage et remplacer le mot échappement par exemple, qui est plus long, qui est plus plat et beaucoup moins évocateur.
La fuite, donc, était née et le sens dérivé qui ne concerne que des documents sensibles. Bah, il n'est pas si récent puisqu'on le trouve déjà à l'époque de l'affaire Dreyfus, c'est-à-dire à l'extrême fin du XIXᵉ siècle. Mais à ce moment-là, on ne parle pas encore d'une information qui fuite. Fuiter est un verbe qui a été inventé plus récemment à partir de situations précises d'ailleurs : les sujets d'examen communiqués à certains candidats débrouillards, peu scrupuleux, avant les épreuves. On parle des fuites au bac. Bien entendu, il évoque cet emploi alors que le verbe fuir, bien plus ancien, correspondait à l'idée de fuite traditionnelle. Mais à partir de la fuite, on a donc deux verbes le verbe fuir pour l'évadé, par exemple, qui fuit, qui s'enfuit, et le verbe fuiter pour l'information qui est communiquée à des gens qui n'auraient jamais dû l'avoir.
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