Des cueilleurs de truffes pris pour cible en Syrie. Mais la truffe se cueille-t-telle vraiment ? Elle se déterre ! D’un sous-sol qui en est truffé ? Oui et non ! L’histoire linguistique de ce champignon est pleine de rebondissements ! Écoutez les explications d'Yvan Amar dans cette chronique, avec sa transcription.
En partenariat avec la Délégation Générale à la Langue française et aux Langues de France (DGLFLF).
Le mot de l'actualité avec la délégation à la langue française du ministère de la Culture. Yvan Amar.
La truffe tristement à l'honneur parce que tristement à la Une de l'actualité. En effet, on a appris qu'en Syrie, une attaque meurtrière avait tué près d'une trentaine de personnes, des ramasseurs de truffes. Et on comprend bien qu'en Syrie, on ramasse les truffes, notamment celles qu'on appelle les truffes du désert parce qu'elles se vendent à près de 20 $ le kilo en moyenne, ce qui, très largement, excède le salaire mensuel d'un salarié.
Alors truffe, c'est un mot qui en français est ancien. On le trouve dès le Moyen Âge, et la plupart du temps, dans ses premiers emplois, il est associé à l'idée d'excroissance : ce qui apparaît, ce qui pousse et ce qui pousse là où en général on n'attendrait pas à le voir.
Et au sens littéral, la truffe, encore aujourd'hui, c'est un champignon. Enfin, c'est un genre de champignon, il y en a beaucoup d'autres, il y a les girolles, les cepes, etc. Mais en France, on a la truffe noire et la truffe blanche qu'on trouve ailleurs, notamment en Italie. Un champignon rare et donc cher à cause de sa rareté et aussi à cause de la difficulté qu'on a à le récolter. Parce que les truffes, le plus souvent, restent enterrées et donc invisibles. On peut les deviner, c'est vrai, en particulier autour de certains chênes, ceux qu'on appelle les chênes truffiers. Et pour un œil exercé, on peut remarquer une circonférence d'une couleur un peu différente, un peu plus foncée autour de l'arbre. Mais les animaux sont plus efficaces que nous en la matière. On parle de chiens truffiers, parfois même de porcs, pour ces animaux qui savent déceler et respirer l'odeur de ces truffes.
Donc la truffe est devenue un symbole de luxe, de raffinement culinaire. On se souvient du foie gras truffé, c'est-à-dire dans lequel on aura glissé des fragments de truffe pour parfumer l'ensemble. Alors, les truffes, même dans le foie gras, il y en a extrêmement peu. Et pourtant, c'est le souvenir de cet usage qui explique l'emploi du participe truffé. Et, c'est là qu'apparaît un paradoxe qui est très représentatif des contradictions de l'histoire de la langue. Parce que truffé, au figuré, ça veut dire non pas qui contient très peu d'une autre matière, mais qui contient beaucoup de cette autre matière. Par exemple, on parle d'un document qui est truffé de fautes d'orthographe, eh bien on veut dire simplement que les fautes d'orthographe sont nombreuses. Si on évoque un livre truffé d'emprunts à d'autres auteurs ou de citations qui ne disent pas leur nom, ça veut dire qu'on en trouve à toutes les lignes ou presque. Truffé est donc devenu plus ou moins le synonyme de bourré.
Et si on revient à la forme et à la couleur de la truffe la plus commune en France, on comprend pourquoi dans un français tout à fait correct, on parle de truffe pour l'extrémité du museau d'un chien : noir et légèrement humide. Et puis, si l'on se souvient de la texture, c'est-à-dire de la consistance de ce champignon, on peut comprendre comment le mot est arrivé à être assez injurieux quand il s'adresse à un être humain. « Quelle truffe », ça veut dire : quel imbécile !
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