Le journal Libération a 50 ans. Libération… et pas Liberté par exemple. Quels sous-entendus derrière ce titre ? Écoutez les explications d'Yvan Amar dans cette chronique, avec sa transcription.
En partenariat avec la Délégation Générale à la Langue française et aux Langues de France (DGLFLF).
Le mot de l'actualité avec la délégation à la langue française du ministère de la Culture. Yvan Amar.
On a fêté avec une certaine discrétion un anniversaire de 50 ans, non pas d'un être humain, mais d'un organe de presse : « Libération ». C'était il y a quelques semaines, mais RFI, tout récemment, revenait sur le parcours de ce journal qui est sorti en 1973 et qui représente incontestablement la plus grande et même la seule vraie réussite de la presse écrite quotidienne de ce dernier quart de siècle en France. Et même s'il a moins d'influence et de notoriété qu'à une certaine époque, il est toujours là. Bien sûr, il a changé de tonalité, de ligne, de style, parce qu'il était né dans l'écho des événements de mai 1968. Sans être nommément lié à un groupuscule, comme on disait, un petit parti, comme tous ceux qui avaient fleuri à l'époque, Libération, c'était le journal du gauchisme de cette génération d'étudiants plus ou moins intellectuels, en tout cas en rupture apparente avec la société de consommation qui les faisait vivre. Donc Libération apparaissait comme un journal d'ultragauche qui s'est modéré un peu, puis nettement plus au moment où François Mitterrand a été élu président de la République parce que l'opposition au pouvoir a changé de contour. Mais enfin, lire Libération, l'acheter, l'avoir sous le bras, c'était un signe d'appartenance. Et d'ailleurs, est-ce qu'on parlait de Libération quand on l'avait sous le bras ? Non. On disait Libé. Et ce nom s'est abrégé comme celui des nombreux quotidiens à quatre syllabes : L'Intransigeant, on l'appelait l'Intran ; l'Humanité, on l'appelait, on l'appelle encore parfois l'Huma ; Libération, c'était Libé.
Et le choix de son nom est assez significatif. Alors, on se souvient que le titre existe déjà en 1973, puisqu'il est né en 41. Il était en sommeil, et Jean-Paul Sartre et Serge July lui redonnent vie. July dirige le journal. Sartre, simplement, est là pour lui donner la caution de son nom. Mais le nom, il est intéressant. Ce n'est pas liberté, un mot qui a également été un titre de la presse. Le mot libération, il s'explique dès sa naissance parce que ça a été un journal clandestin en 41, édité par un mouvement de résistance. Il s'agit bien de se libérer, de libérer le pays. Mais dans les années 70, le mot témoigne d'autre chose, d'une certaine attention, un mouvement qui est en train de se faire. Parce que si l'on parle de liberté, ça semble être un fait acquis, une notion stable. La libération, c'est autre chose, c'est un processus : on n'est pas libre, mais on peut le devenir, on peut faire l'effort de se libérer. Et toute la crise soixante-huitarde s'inscrit, en fait, dans cette tentative de couper les liens, de déchirer les entraves, de s'apercevoir de ce qui nous maintient prisonnier, qui nous aliène, pour reprendre un mot qui a eu un grand succès à cette époque.
Alors parfois, on distinguait deux catégories de lecteurs ceux qui commençaient par le début, les pages politiques, ou par la fin, les pages culturelles, mais les deux parties témoignaient d'une même attention. Et par l'humour ou la dérision, le décalage, l'arrogance, c'était un journal qui s'efforçait de secouer un joug invisible pour prendre conscience, encore un mot de cette époque, prendre conscience de ce qui empêchait d'être libre.
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