Neuf tirailleurs sénégalais retrouvent leur terre natale, neuf soldats africains ayant combattus sous drapeau français. Alors pourquoi des tirailleurs ? Est-ce qu’ils sont tous sénégalais ? Écoutez les explications d'Yvan Amar dans cette chronique, avec sa transcription.
En partenariat avec la Délégation Générale à la Langue française et aux Langues de France (DGLFLF).
Le mot de l'actualité avec la délégation à la langue française du ministère de la Culture. Yvan Amar.
Neuf tirailleurs à l'honneur, neuf militaires français à la retraite d'origine africaine qui ont été honorés et autorisés à regagner leur pays sans perdre leur droit à leur pension militaire, ce qui est nouveau. Ils avaient participé aux dernières guerres coloniales françaises : Indochine, Algérie... et donc ce sont des tirailleurs sénégalais. Est-ce qu'ils sont tous sénégalais ? Peu importe, parce que cette appellation s'applique indifféremment à des militaires africains d'origines diverses, enrôlés sous une bannière française pour combattre avec l'armée française.
Alors pourquoi des tirailleurs ? La question n'est pas difficile. On entend dans le mot le radical tiré qui a un sens par rapport aux armes à feu. On tire au fusil, on tire au pistolet. Alors, est-ce que le nom tireur n'existe pas ? Mais si, on parle même d'un bon tireur, celui qui souvent atteint sa cible. Et tirailler, on voit que c'est un verbe dont la formation est parallèle, un peu familière. Est-ce que le sens est péjoratif ? Oui, un peu. Un peu, mais pas trop. Mais surtout, cela donne l'impression d'une légère imprécision, d'un relatif laisser-aller. Tirailler, c'est tirer n'importe comment, tirer n'importe où au hasard. Et d'ailleurs, la terminaison du verbe évoque d'autres mots comme débraillés. Et on ne pourrait pas, par exemple, parler d'un tirailleur d'élite. C'est contradictoire.
La question qui reste, c'est pourquoi est-ce qu'ils sont sénégalais ? Pourquoi les appelle-t-on ainsi ? Eh bien, l'histoire est vieille. Elle date de 1857. La funeste aventure coloniale française est bien commencée : conquête de l'Algérie à partir de 1830, et l'armée française a besoin de recrues, de supplétifs comme on dit. On va créer un nouveau corps, et le premier régiment est mis sur pied au Sénégal, ce seront les tirailleurs sénégalais. Même si peu après, on va recruter un peu partout en Afrique de l'Ouest, en Afrique centrale. Et au départ, ces soldats vont servir essentiellement au maintien de l'ordre dans ces nouvelles colonies. Mais dès le début de la Première Guerre mondiale, ils seront envoyés au front en Europe et on va rééditer cette pratique au début de la Deuxième Guerre mondiale.
Bien entendu, l'expression, même si elle n'est pas explicitement injurieuse, porte en elle toute la condescendance et le mépris colonial. On se souvient, par exemple, d'une autre formule : « le français tirailleur », qui désigne cette langue approximative qui sert à la communication militaire, aux ordres donnés par le commandement. Un français qui se met en place de façon assez spontanée, qui est relayé par des francophones qui imitent plus ou moins les particularités de ce langage en les soulignant et souvent en s'en moquant. « Y'a bon Banania » est un slogan qui symbolise toutes les ambivalences de cette oppression et qui est resté célèbre surtout d'ailleurs parce qu'il a été épinglé par Senghor dans l'un de ses textes les plus célèbres : « Je déchirerai les rires Banania sur tous les murs de France ».
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