« Triser » pour maîtriser, « djassaman » pour vendeur débrouillard : deux mots du français d’Abidjan, déniché pour nous par des étudiants ivoiriens dans le cadre du « Jeu du Mot de l’actualité ». Écoutez les explications d'Yvan Amar dans cette chronique, avec sa transcription.
En partenariat avec la Délégation Générale à la Langue française et aux Langues de France (DGLFLF).
Le mot de l'actualité avec la délégation à la langue française du ministère de la Culture. Yvan Amar.
Pour la deuxième fois, nous avons recours à de jeunes étudiants ivoiriens qui vont nous aider à nous orienter dans certaines particularités du français qui se parle en Côte d'Ivoire. Ça a été réalisé dans le cadre du Salon du livre d'Abidjan et dans le cadre du jeu du Mot de l'actualité organisé là-bas. Et ce sont ces étudiants qui ont écrit de courtes chroniques pour nous renseigner sur un français inventif qui prend son indépendance par rapport aux normes de la France, mais qui est aussi du français, évidemment.
Et, par exemple, Joseph Arsène Gnou Katché nous parle du mot « triser ». Un mot qu'on n'entend pas en France et dont l'origine est très transparente. Qu'est-ce que c'est que triser ? C'est une abréviation de maîtriser, une troncation comme on dit. Alors, le mot maîtriser est tout à fait courant en français standard. Et triser, nous dit Arsène, bah c'est un mot du nouchi, cette langue familière qui se parle en Côte d'Ivoire, tout spécialement à Abidjan, qui a sa logique, qui vient d'un croisement entre le français et différentes langues africaines, et en nouchi, bah triser c'est tout à fait courant pour garder la plupart des emplois du verbe maîtriser, c'est-à-dire contrôler ses sentiments, ses émotions, garder son self-control, nous précise Arsène. Alors bien sûr, quand on emploie le mot, il faut avoir un accent, un rythme, une allure que je n'ai pas parce qu'elles sont propres à ses utilisateurs, et moi, je ne suis pas abidjanais, mais enfin on peut entendre dire : « Toi aussi tu dois te triser parce que sinon ils vont te choper mal. » C'est l'exemple que nous donne notre correspondant. Et il faut comprendre : « Contrôle-toi, sinon tu risques de te faire prendre ! » Et triser veut aussi souvent dire se calmer, se tranquilliser.
Alors, autre collaboration, celle de Désiré Kouakou qui nous fait découvrir le djassa, un endroit réel au départ mais qui a fini par représenter un lieu un peu mythique. Le mot a commencé par renvoyer au marché d'Adjamé à Abidjan, et aujourd'hui il désigne n'importe quel marché, supermarché, lieu d'échange. On y achète, on y vend, on négocie, souvent de façon informelle, on n'est pas loin de la brocante, et ce djassa a donné naissance à un type particulier de commerçant qu'on appelle le djassaman. On voit bien comment c'est formé, avec jdassa et puis man, un mot anglais qui veut dire homme mais sert souvent à désigner un métier : taximan, pour chauffeur de taxi. Eh bien, le djassaman existe au départ avec des préjugés défavorables et aujourd'hui, au contraire, qui suggère une image d'auto-entrepreneur, de jeune débrouillard, de fonceur. En fait, le mot concentre toutes les images d'une jeunesse défavorisée et qui se bat. Et le djassa, aujourd'hui, bah c'est presque l'école de la deuxième chance.
Alors merci encore à Arsène et à Désiré pour ces chroniques qui élargissent l'horizon du Mot de l'actualité.
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