Le français de l'université - Argumenter: le vote électronique
Les outils numériques vont-ils transformer notre façon de voter ? À partir d’un extrait de l’émission Autour de la question, découvrez les différentes étapes d’une argumentation : le plan dialectique. Cet exercice s’adresse notamment aux étudiants et étudiantes qui souhaitent se familiariser avec le français universitaire.
Publié le :
► EXERCICE - Extrait de Autour de la question du 29 janvier 2018
► LEXIQUE
Le numérique : l'ère numérique ; informatique ; un calcul ; un débit d’informations ; un bit par seconde ; un modem ; une box ; le vote électronique ; un outil numérique ; traiter des informations ; un moyen de communication.
La démocratie : un vote ; un isoloir ; un bureau de vote ; une élection ; élire ; un président/une présidente ; un candidat/une candidate ; un citoyen/une citoyenne ; la collectivité ; le vote à l’urne ; fiable ; fiabilité ; sécurité ; un protocole ; une propriété ; le secret du vote ; recompter les voix ; un bulletin ; un député/une députée ; un/une maire ; un système politique ; une décision ; consulter ; la gauche et la droite [les deux partis politiques traditionnellement opposés en France] ; une opinion ; être d’accord ; une fonction ; le débat public ; une institution.
Le changement : se métamorphoser ; un bouleversement ; révolutionner ; une prouesse technique ; transformer ; un remplacement.
La vie académique : un chercheur/une chercheuse ; un institut de recherche ; une chronique ; un ouvrage ; un recueil ; un résultat.
► DOCUMENTS À TÉLÉCHARGER
► TOUS LES ÉPISODES DU PODCAST SUR RFI
Autour de la question
Caroline Lachowsky
Bienvenue à vous qui nous rejoignez pour cette deuxième partie, « Autour de la question : comment vivre, aimer, apprendre, travailler et voter à l'ère numérique ? » en compagnie du chercheur en informatique et philosophe des sciences Gilles Dowek, qui nous fait partager ses chroniques de la vie numérique aux éditions du Pommier. Comment, par petites touches, nous métamorphosons-nous en « homo sapiens informaticus » et jusqu'où ces bouleversements nous entraîneront ? C'est Antoine Petit, l'ancien président d'INRIA, votre institut de recherche, Gilles Dowek, aujourd'hui Antoine Petit est nommé à la tête du CNRS, qui rouvre notre chantier numérique avec une question sur nos démocraties à l'ère numérique.
Organiser un vote,
avant c'était quand même compliqué, il faut des isoloirs, il faut des bureaux de vote, il faut que les gens se déplacent, aujourd'hui avec le numérique on devrait pouvoir organiser des votes beaucoup plus facilement. Donc finalement, qu'est-ce que, est-ce que ça ne devrait pas
révolutionner la démocratie le numérique plus que ça ne le fait aujourd'hui ?
Votre réponse Gilles Dowek, est-ce que le numérique ne devrait pas révolutionner la démocratie ?
Oui, alors, c'est un sujet auquel j'avais consacré une chronique, donc je remercie Antoine d'avoir posé une question qui est pile dans, dans le sujet. Dans ce, dans cette chronique, je fais d'abord un petit calcul et j'imagine que nous organisons une élection tous les cinq ans, comme c'est à peu près le cas, alors c'est tous les quatre ans, tous les cinq ans, ça dépend des pays, pour élire un président de la République et pour simplifier les calculs, j'ai supposé qu'il y avait trente-deux candidats. Parce que trente-deux, c'est deux à la puissance cinq et donc quand nous élisons un candidat parmi trente-deux, nous communiquons par notre choix, nous communiquons une quantité d'informations qui est de cinq bits et donc nous communiquons une quantité d'informations qui est de cinq bits tous les cinq ans et en faisant une petite division, on s'aperçoit que le débit d'informations que le vote à l'urne nous permet est d'un bit par an. Donc en général, on ne compte pas les débits d'informations en bit par an, on les compte plutôt en bit par seconde. Donc, j'ai à nouveau fait le calcul pour vous, un bit par an c'est de l'ordre d'un dix-millionième de bit par seconde. Et pour juste avoir un ordre de grandeur, le modem que vous avez chez vous, la « box », en fonction de, bien sûr que ça dépend des pays, et cetera, mais en gros on est plutôt dans l'ordre de 10 millions de bits par seconde. Et donc on s'aperçoit qu'il y a cent mille milliards de différence. Donc voilà, la « box » va cent mille milliards de fois plus vite que le vote à l'urne et donc on peut, on peut, en une seconde, en un an, ou en cinq ans, transmettre cent mille milliards de fois l'information qu'on transmet avec le vote, le vote à l'urne.
Donc ça paraît bien plus efficace, sauf qu'eux, sauf que...
Donc ça paraît, ça paraît bien plus efficace et d'abord il faut comprendre pourquoi on a quand même le vote à l'urne, parce que quand on a inventé ce système alors qui, bon, en gros on va dire à la fin du XVIIIᵉ siècle enfin au moment de la révolution, enfin il y avait quelques idées avec Montesquieu avant etc. On va dire à la révolution anglaise si vous voulez donc fin du XVIIᵉ siècle, bien à cette époque c'était déjà très compliqué. C'est-à-dire avoir un tel débit d'informations, que chaque citoyen puisse émettre de l'information en direction des autres citoyens, de la collectivité, était quelque chose de très compliqué et on avait réussi à une prouesse technique avec le vote à l'urne d'arriver à ce niveau de débit. Bon mais aujourd'hui on peut aller cent mille milliards de fois plus vite et donc on peut se poser la question « comment est-ce que ça va transformer la démocratie ? » Et il y a là-dessus une première idée, qui est de dire on va remplacer le vote à l'urne par le vote électronique. Mais c'est ce que j'appelle dans une autre chronique que j'avais consacré au vote électronique, qui a donné un peu son titre à l'ouvrage, au recueil, j'avais mentionné un résultat qui a été prouvé par des collègues en 2006, qui est un résultat relativement récent, qui montre que le vote électronique ne peut jamais être aussi fiable que le vote à l'urne.
Pour des raisons quoi de de fiabilité, de sécurité, de fiabilité ?
C'est-à-dire, on ne peut pas garantir, on ne peut pas avoir un protocole de vote électronique qui garantisse deux propriétés Et pourtant nous sommes, nous semblent absolument indispensable : la première c'est le secret du vote, et la deuxième c'est la possibilité de recompter les voix. Et donc, quand vous avez une élection, il faut que chacun puisse dire « non moi je ne suis pas d'accord avec le résultat de l'élection ». Et donc, on regarde les bulletins qu'il y avait dans l'urne et on peut les recompter. Et ça c'est vraiment très important.
Et avec un vote électronique ?
Et avec un vote électronique, on ne peut pas, de manière absolue, avoir les deux propriétés à la fois. Et donc ça, ça m'amène à être plutôt sceptique sur le vote électronique, comme remplacement du vote à l'urne, et de dire, après tout, aujourd'hui nous élisons et nous arrivons assez bien à élire le président de la République et les députés et les maires des villes... en nous déplaçant. Donc pourquoi ne pas continuer comme ça ? C'est finalement mieux. Mais cela dit, ça, c'est une forme de paresse intellectuelle de raisonner comme ça, puisque nous raisonnons en disant « nous avons un système politique qui est celui où nous devons élire en gros un président, un président de région et un, et un maire. Et essayons de penser dans le cadre ancien, avec les, avec les outils nouveaux ». Et plutôt, j'ai essayé de poser une autre question qui est maintenant : quelles sont toutes les décisions que nous prenons et, qui sont prises plutôt, et pour lesquelles nous ne sommes pas consultés ? Et donc par exemple, en ce moment, dans la rue où j'habite, on est en train de refaire le trottoir, Il y a quelqu'un qui a pris la décision qu'il fallait refaire le trottoir de gauche mais pas le trottoir de droite et est-ce qu'on ne pourrait pas associer les citoyens à ce type de décision ?
C'est-à-dire que vous dites, pour vous, il faut prendre la démarche à l'inverse, ce qui fonctionne on peut le laisser comme ça.
Exactement.
Mais en revanche, nos nouveaux outils numériques, électroniques, nous permettent...
...nous permettent d'inventer une nouvelle démocratie. Ce n'est pas l'ancienne démocratie qu'il faut faire fonctionner avec de nouveaux outils, l'ancienne démocratie, elle vient avec ses outils qui fonctionnent. Donc il n'y a aucune raison de les changer. En revanche...
Surtout qu'on ne pourrait pas assurer la fiabilité, le secret, enfin.
Exactement, surtout que ça poserait des problèmes. En revanche, il y a tout un tas de décisions que nous prenons, qui sont prises plutôt, sans que nous les prenions nous-mêmes. C'est-à-dire, cet exemple de refaire les trottoirs, refaire la voirie, et cetera. Mais on peut aller un peu plus loin et on s'aperçoit que du fait du très faible débit d'informations qu'il y avait au XVIIIᵉ siècle quand on a inventé le vote à l'urne, on vote d'une manière un peu absurde où quand nous élisons le président de la République, un député, un maire, nous répondons simultanément à plusieurs questions. C'est-à-dire, nous répondons à la question quelle est la politique que nous voulons en matière militaire ? Quelle est la politique que nous voulons en matière de justice ? Quelle est la politique que nous voulons en matière de police ? Quelle est la politique que nous voulons en matière d'éducation ? En matière de santé ? En matière économique ? Et cetera ; et pour ça nous n'avons que des réponses stéréotypées, avec les deux grands stéréotypes, la gauche, la droite. Et le fait d'avoir un plus grand débit d'informations pourrait nous amener à répondre différemment et à des moments différents, à des questions différentes, puisqu'il n'y a pas de raison...
... de donner notre point de vue sur tout ce qui nous intéresse vraiment.
Sur tout ce qui nous intéresse vraiment, parce qu'il n'y a pas de raison que votre vision, ce que vous souhaitez, pour, mettons les questions de police, soit corrélé avec ce que vous souhaitez pour les questions d'éducation. Vous pouvez très bien, sur les questions d'éducation, avoir une opinion qui vous rapproche de la mienne, par exemple, mais sur les questions de police, nous ne sommes pas du tout d'accord. Et du coup, est-ce que nous devrions voter pour le même candidat ou non ? Cette question n'a aucun sens et elle vient uniquement du fait que, à une certaine époque, nous n'avions pas la possibilité d'échanger suffisamment d'informations.
Mais est-ce qu'on serait capable de les traiter, toutes ces informations, aujourd'hui ?
Alors ça dépend, si chaque citoyen exprime cent mille milliards de fois plus de choses que ce qu'il exprime, non. Mais, par exemple, une, une solution de science-fiction que je propose uniquement pour amener le lecteur à réfléchir, c'est que nous élisions six président de la République. En gros, l'État on peut identifier six grandes fonctions, qui sont d'un côté l'armée et la diplomatie, l'autre côté la police, la justice, l'éducation, la santé, l'économie, bon c'est vraiment à très gros traits. Et on pourrait tous les ans élire un président, donc une année on élirait le président de l'éducation, l'année d'après on élirait le président de la santé, et ces élections donc là, qui devraient être électroniques parce que là, on commence à arriver à un débit d'informations extrêmement, enfin, bon, plus important, pas extrêmement important, mais plus important, et à ce moment-là, pendant un an, on pourrait discuter réellement des questions d'éducation. Et pendant un an, on pourrait discuter réellement des politiques, des questions de politique, de santé. Puis, pendant un an, on pourrait discuter des questions de politique militaire. Et aujourd'hui, dans une élection, il y a une cacophonie où on discute de toutes ces questions à la fois et, d'un certain point de vue, on peut expliquer la relative désaffection des citoyens pour le débat public parce que toutes ces questions sont mélangées, alors que les citoyens ont l'habitude parce qu'eux vivent déjà dans un monde où ils utilisent divers moyens de communication pour discuter de différents sujets...
Ils pourraient être, ils pourraient être concernés.
Disons les citoyens vivent déjà dans un monde différent, alors que nos institutions appartiennent à un monde plus ancien.
Voir moins Voir plus