Avoir une vie de bâton de chaise = avoir une vie agitée, déréglée
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Aujourd’hui, la Puce à l’oreille se met au rythme trépidant de ceux qui vivent « une vie de bâton de chaise ». Lucie Bouteloup reçoit Jean Pruvost, lexicologue et historien de la langue française, qui ne mène pas une vie de patachon.
La puce à l'oreille
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Lucie, une vie en résonance avec la nature aujourd'hui. C'est pas trop votre truc.
Oui, mais ça m'arrive quand même parfois de me fondre dans le décor, ça peut vous étonner. En tout cas, aujourd'hui, c'est effectivement pas encore au programme puisque je préfère vous parler avec Jean Pruvost de la vie trépidante de ceux qui vivent une « vie de bâton de chaise ». Mais avant de vous en dire plus...
Les enfants !
Absolument.
Mener une vie de bâton de chaise, ah ça doit être quelqu'un qui supporte toujours quelqu'un parce que les bâtons de la chaise, les pieds, quoi, et bah ça va supporter quelqu'un qui s'assoit sur la chaise. Du coup, c'est sûrement quelqu'un qui se sous-estime.
C'est comme deux amoureux qui se disputent tout le temps sauf qu'ils vont jamais se séparer. Parce que des fois, c'est le moment où t'es tellement énervé que tu veux plus le voir et tout, et puis après tu reviens.
Bah pour moi, le bâton de chaise déjà, c'est un peu ce qui soutient la chaise parce que sans bâton la chaise elle tombe. Donc à peu près mener une vie de bâton de chaise c'est quand par exemple il y a des gens qui donnent tout dans leur travail par exemple, mais qui sont pas reconnus à leur juste valeur. Comme par exemple les femmes de ménage, fin, elles nettoient tous les jours le collège. Mais nous on s'en rend pas compte et on les félicite jamais, on fait jamais rien pour que ça s'arrange. Bah elles, elles mènent une vie de bâton de chaise pour moi.
C'est une vie dure quoi. Parce qu'une chaise, c'est un objet basique, un objet simple et du coup une vie de bâton de chaise, fin, en plus un bâton c'est droit, c'est une vie un peu toute tracée, un peu monotone.
...
Alors Jean Pruvost, « mener une vie de bâton de chaise », on l'a vu là, les enfants, ils sont loin du sens de cette expression.
C'est vrai, ils sont un peu perdus. On voit bien qu'il faut l'expliquer. En même temps quelqu'un, une petite fille a dit qui soutient la chaise, donc ça c'est assez juste.
Mais c'est plutôt dans l'idée de supporter.
Oui voilà. Comme quelque chose de pénible.
On a évoqué une vie dure, alors ça c'est tout à fait dans l'idée.
Supporter l'autre aussi.
En réalité, ça fait référence à quelque chose qui n'existe plus du tout. C'est ce qu'on appelle les chaises à porteurs, au XVIIᵉ siècle. C'est-à-dire une sorte de chaise mais couverte, une cabine avec un monsieur devant, un monsieur derrière, plutôt costaud et tenant, soutenant en quelque sorte cette cabine pour circuler dans la ville, mais dans des endroits difficiles. Les rues de Paris, à l'époque, étaient boueuses, parfois elles étaient très étroites. Et puis parfois, faut bien avouer que les nobles qui s'installaient dans cette chaise et qui étaient transportés par ces deux hommes, bah les nobles se rendaient dans des tripots, dans des endroits malfamés. Donc on peut dire que ceux qui portaient les bâtons de chaise, ils voyaient beaucoup de choses, ils n'arrêtaient pas, c'était difficile et en même temps une sorte de désordre dans tout ce qu'ils voyaient, ça allait du tripot jusqu'à la cour.
Ils menaient une vie assez désordonnée en fait. Très désordonnée.
Et puis, qui plus est, ces bâtons n'arrêtaient pas de bouger, parce qu'évidemment ils ne sont pas fixés sur la chaise. Quand on s'arrête, on peut les enlever. Bon, il y a toujours aussi l'idée un petit peu de, bon, de quelque chose qui est dure. Un bâton ça n'a jamais rien de tendre.
De dur et de rigide.
Oui, en même temps.
Pourtant, cette expression « mener une vie de bâton de chaise », elle veut dire tout autre chose. Qu'est-ce que ça veut dire ?
Alors c'est mener une vie dissolue ou une vie sans cohérence où on sait jamais où vous êtes, passant des plaisirs au travail, courant partout. C'est souvent péjoratif, c'est-à-dire c'est pas valorisant que de mener une vie de bâton de chaise.
C'est un petit peu comme mener une vie de patachon.
Alors ça, c'est tout à fait la très bonne définition. Alors je pense que les enfants auraient du mal aussi à comprendre ce qu'est « une vie de patachon ».
Qu'est ce que c'est qu'un patachon ?
Alors au départ, il y avait, c'est un mot arabe, la « patache » qui désignait un bateau et puis c'est devenu finalement une diligence et le patachon était celui qui pilotait, qui conduisait la diligence et qui donc était tout le temps en train de rouler, jamais à un endroit fixe.
Pour autant, il me semble que quand on dit de quelqu'un qui « mène une vie de bâton chaise » ou qu'il « mène une vie de patachon », il y a quand même cette idée festive, vraiment aussi. Dissolue comme vous le disiez, mais c'est aussi la vie de la bamboche, la vie des fêtards.
Oui, c'est absolument ça. On ne peut pas dire d'un étudiant qui mènerait une vie de patachon que c'est un étudiant, qui a des chances d'avoir son examen, à moins qu'il soit brillantissime, bien sûr.
Non mais la vie dissolue, il y a vraiment cette idée extrêmement négative de quelqu'un qui est perdu, alors que quand on mène une vie de patachon, on aime se perdre dans la fête.
On pourrait dire mener une belle vie.
Chacun plaide pour sa paroisse.
Mener la grande vie si la vie de patachon consiste effectivement à aller faire la fête.
Est ce que cette expression, elle est encore très utilisée?
Alors moi je pense que dès qu'on atteint un certain niveau de lexique, elle est utilisée. Elle fait partie du vocabulaire soutenu et d'autant plus qu'elle fait référence à des choses historiques. Donc on est dans les mots cultivés d'une certaine façon, il y a une certaine élégance.
Une certaine élégance. Tout comme vous, mon cher Jean, merci d'être venu dans la puce pour nous éclairer de vos lumières. Je rappelle aux auditeurs que vous venez de faire paraître attention votre 56ᵉ ouvrage. Ça mérite d'être souligné. « 100 mots à connaître d'urgence pour rehausser un discours ou une conversation » et c'est édité aux éditions du Figaro Littéraire. Vous pouvez retrouver cette chronique sur le site de RFI, mais aussi sur le site lefrancaisfacile.rfi.fr. Tout attaché et sans cédille. À très bientôt, Jean autour d'une nouvelle expression.
Avec grand plaisir.
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